René DURANTON rend un dernier hommage à Renée BAGELET,
la dernière Bouvière Française
qui nous a quittés le 14 Décembre 2022 à l’âge de 92 ans.
Nous avons la chance d’avoir connu la dernière bouvière Française dans cette région du Tarn et Garonne, pays du Chasselas.
Renée est née le 3 février 1931 à Montesquieu. Elle se souvient de l’arrivée en 1942 des Allemands qui circulaient nuit et jour sur les petites routes de campagne.
A 14 ans, elle décide de quitter l’école et de travailler à la ferme avec sa mère. On peut supposer que sa mère avait le caractère bien trempé qu’elle lui a transmis.
C’est sa mère qui liait les bêtes,
C’est sa mère qui maniait la charrue.
C’est au décès de sa mère que Renée prend les rênes et assure seule la continuité de la ferme sans rien changer.
Un heureux événement arrive le 15 février 1953 avec la naissance de Jean Paul qui, après sa scolarité, fera des études de comptabilité et, à 17 ans, ira travailler à Valence d’Agen, puis à Montauban.
Pour vous expliquer comment j’ai connu Renée BAGELET, je dois remonter en 1988, avec mon premier long métrage « LES SABOTS A BASCULE », film comique rural avec Charlotte JULIAN, Michel MELKI et BILLY, 30 petits rôles et 1.000 figurants.
Ensuite, j’ai voulu rendre un hommage au monde paysan sur la traction animale avant le passage au tracteur.
En1999, j’ai tourné « TOI ! L’AUVERGNAT dernier paysan », le dernier bouvier Français qui travaillait avec les bœufs. On parle toujours des hommes, jamais des femmes ! Donc, je voulais rendre un hommage aux Femmes Paysannes. J’ai recherché en Auvergne, Lozère, Creuse, Corrèze … Mais, impossible d’en trouver une … jusqu’en 2002 où je présentais l’Auvergnat au cinéma du Mont Dore. J’ai rencontré un couple de curistes qui m’a confirmé que chez eux, dans le Tarn et Garonne, il y avait une bouvière qui travaillait encore avec ses vaches, mais ils ne savaient pas où elle habitait. Donc, recherches à la DDA, à la chambre d’agriculture, puis le Maire de Moissac, Jean Paul Nunzy, qui m’informe qu’il s’agit de Renée Bagelet et me donne son téléphone.
Trois jours après, j’étais à Montesquieu. La rencontre avec Renée a été très cordiale. Une maîtresse femme avec ses 30 chapeaux et ses nombreuses activités, tout pour faire un film.
Il fallait prévoir le tournage sur un an pour avoir les quatre saisons, 5 mois de montage et un budget très conséquent.
En 2000, le format de la télé était carré. Je voulais donc investir dans une caméra 16/9 avec zoom Angénieux, optique fabriquée à Saint Etienne, tout le matériel professionnel, éclairage et son. Evidemment, pas d’argent, donc hypothèque de la maison, et on commence le film.
En possession du matériel il me fallait des cameramen à disposition pour être présents du jour au lendemain, sachant que j’avais 5 heures de route pour venir de Moulins. J’ai donc dû trouver trois professionnels en attente pour en avoir un de disponible et m’accompagner :
- Philippe BELLIME à Clermont-Ferrand
- Philippe SZYMANSKI à Moulins
- Michel BUGEAULT à Toulouse
Le tournage commence en 2002.
J’aurais aimé faire des prises de vue dans la neige. Un jour d’hiver, à 6 heures du matin, Renée me téléphone : « Vous pouvez venir, il y a de la neige ». A 7 heures, second coup de fil « La neige a fondu ».
En 2002 et 2003 le tournage se déroule sans problèmes, et nous fait découvrir
- Les Foins, avec Jean Paul son fils et Raymond BOYER un voisin
- La Fête à Moissac, avec la traversée de la ville par les vaches tractant l’arbre de Mai
- Les Vendanges avec tous ses amis, dont :
Abdonie BACH, sa cousine
Hervé VIDAL, qui anime la soirée avec ses chants et son accordéon.
En 2003, je commence le montage avec Philippe Szymanski. La musique est composée par Paco ALEJO, de Courpières, et interprétée par Frédéric BRUN, de Thiers, une voix remarquable. Trois jours de studio à Cournon d’Auvergne me permettent de sortir 2.000 CD de la musique du film qui serviront à de nombreux enterrements de Femmes Paysannes.
Le film sort en Octobre 2003 dans différentes salles des fêtes et cinémas. Pour les cinémas, j’ai un problème, car les salles diffusent en pellicule 35, et moi je suis en numérique. Il faudra attendre 2015 pour avoir le Visa d’exploitation et être diffusé en numérique dans les cinémas.
Avec l’aide de Jean Louis DOUCET, les salles se remplissent, ainsi que les ventes de DVD par le distributeur ARCADES qui alimente les grandes surfaces et les FNAC.
Mon banquier retrouve le sourire.
Renée est souvent invitée dans les Festivals dans les Pyrénées et en Auvergne. Johnny KRAU, maire d’une petite commune près de Nancy, vient la chercher en avion. Voyage en grande pompe, chapeau rouge, sac rouge, charentaises rouges…
Par contre, un matin, Renée, en colère, me téléphone : « Eh Oui !... Depuis le film, je ne peux plus travailler. Il y a toujours du monde chez moi ! »
Elle subissait les inconvénients de la star, mais il fallait assumer.
Il n’y a pas beaucoup de films sur ce monde paysan d’autrefois : seulement deux cinéastes ont traité ce sujet :
Georges ROUQUIER avec « FARREBIQUE » en 1946
L’Italien Ermano OLMI avec L’ARBRE AUX SABOTS en 1978
Le film FEMME PAYSANNE a été piraté sur Youtube avec 2 millions de vues et 800 commentaires de haute satisfaction : Chinois, Américains, Japonais, Européens. J’ai déposé plainte et, un an après, le film a été retiré.
Maintenant, Renée est connue dans le monde entier.
Grâce à Renée, le film restera un document ethnologique de haut niveau dans le patrimoine agricole Français.
Je remercie Jacques LAPORTE pour ses photos qui vont immortaliser Renée.
Je remercie son fils Jean Paul qui passait tous les soirs après son travail et qui ensuite, à la retraite, a assuré tous les travaux de la ferme, en sachant qu’avec Renée ce n’était pas facile.
L’équipe de tournage se joint à moi pour présenter à Jean Paul et à toute sa famille nos plus sincères condoléances
René DURANTON
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